Ed Harris : La loi et l'ordre ? Non. La loi est l'ordre
J'ai aujourd'hui deux raisons de parler d'
Appaloosa, Proto-Western de Ed Harris :
1 ) Raison N°1: parce que ça vaut mieux que
La loi et l'ordreCeux qui ne s'intéressent qu'à Carl Schmitt et Viggo Mortensen peuvent passer à la partie 2
Il y a probablement des gens qui vont avoir envie d'aller voir (je décode entre parenthèses)
La loi et l'ordre (Titre remplaçant le
Righteous Kill de la version américaine, signifiant à peu près "Permis de tuer" (dommage c'était déjà pris : James Bond N° 17 (1989)). Le titre français fait référence au couple mythique du western, (non je vous le jure, ce n'est pas Eastwood/Cardinale) : la loi et l'ordre), film de
Jon Avnet (réalisateur pigiste ayant déjà raté plusieurs thrillers auparavant) avec Robert
de Niro (wouah),
Al Pacino (waouh) et 50 (fifty) cent (sic), "par les scénaristes de
Inside Man" (le dernier Spike Lee). Sur l'affiche de ce film qui nous attaque dans le métro, on peut lire une phrase merveilleuse de banalité et de bêtise héritée du
Scarface surestimé de De Palma :
" la plupart des gens respectent l'insigne, tout le monde respecte le flingue" ... (ô rage, ô désespoir) ... Tout est dit, ou presque, je laisse le mot de la fin à Jean-Noël Nicolau de www.écranlarge.com et à sa phrase lapidaire : "Ce n'était vraisemblablement pas suffisant pour Jon Avnet d'avoir porté un rude coup à la carrière d'Al Pacino avec ce 88 minutes de sinistre mémoire. Pour son
nouveau méfait, le bonhomme voulait entraîner deux légendes dans sa galère". Le problème que pose
La loi et l'ordre dans le paysage cinématographique, ce n'est pas que ce soit un
nanar démystifiant deux légendes du film-de-gangster-des années70/80-réalisé-par-un -Italo-américain (est-ce encore nécessaire après
88 minutes ou
Mon beau père et moi ?) c'est le fait que certains vont hésiter entre aller voir le dit film et
Appaloosa. J'ai d'habitude pour principe sur cette page de ne pas dénigrer les films (si je suis par malheur confronté à une
daube, ne pas en parler me semble d'ordinaire préférable), mais il faut clarifier les choses pour qu'on ne laisse pas Jon Avnet
impuni, le cinéma ne s'en portera que mieux.
Allez donc plutôt voir Appaloosa,
dieu vous en récompensera.
2 ) Raison N°2 : parce que c'est vraiment un bon film
Les fans de Jon Avnet peuvent partir, cette partie ne les intéressera pas et de toute façon ils n'ont rien à faire sur ce blog, allez plutôt sur http://www.premiere.fr/film/la-loi-et-l-ordre
D'ailleurs, cette partie n'intéressera a priori que mes camarades de KM2, c'est un nouvel article "clin d'oeil".
En quoi Appaloosa est-il un film "schmittien" ?
Carl Schmitt est un juriste et philosophe allemand contemporain, qui a réfléchi sur le politique et le droit, les concepts de souveraineté et de guerre, notamment.
Appaloosa n'est pas au premier abord un western original, mais il est bien mené, subtilement drôle, réunit de bons acteurs, et apporte même au genre une touche intéressante de présence féminine avec Renée Zellweger dans le rôle de la "femme libérée". C'est donc un très bon "Nouveau Western" comme peuvent l'avoir été Open Range de Kevin Costner, ou encore les westerns des années 80 de Clint "le réalisateur" Eastwood (auquel Ed Harris semble s'identifier et l'assumer). On s'en servira ici pour chercher à mettre en évidence des éléments récurrents de la mise en scène du politique que constitue le western. En effet, le contenu d'un western, ce n'est pas la guerre, c'est la politique. Carl Schmitt et Ed Harris nous apprennent finalement que la guerre n'est pas "la continuation de la politique par d'autres moyens" (Clausewitz), mais que "la politique, c'est la guerre".
Que faut-il pour faire une guerre ? Pas grand chose, c'est très facile, nous allons le voir avec Virgil Cole (Ed Harris), le shériff de choc, et Hitch (Viggo Mortensen) , son adjoint tout aussi efficace. Pour faire une guerre dans l'ouest américain des années 1900 au cinéma, il faut:
1 / Dire qui est souverain
Selon C. Schmitt, c'est celui qui décide en situation exceptionnelle qui est souverain. La question de la souveraineté est : "qui a le fusil ? " (Mao Tse Toung). Dans Appaloosa, il est clair que c'est Virgil Cole.
Séquence 2 : les notables lui donnent les pleins pouvoirs, étant incapables de gérer la situation.
2 / Identifier un couple ami/ennemi
Selon C. Schmitt, la politique consiste d'abord à choisir ses ennemis, c'est à dire à identifier un antagoniste.
Séquence 4 : Virgil ayant amoché un de ses hommes, Bragg vient au bureau du shériff. Chacun se présente à l'autre. L'opposition sur laquelle est bâtie le film est mise en place.
3 / Mettre en place la loi
Selon Carl Schmitt, il n'y a pas de droit naturel. C'est l'Etat qui fixe les lois.
Séquence 4 : Virgil dit à Bragg de ne pas porter d'armes en ville :
"C'est la loi.
- C'est votre loi
- C'est la même chose"
4 / Appliquer la loi
Pour C. Schmitt, qui s'inscrit alors dans la filiation de Max Weber, l'Etat a le "monopole de la violence légitime".
Séqunce 5 : Virgil va faire appliquer la loi par la violence en donnant un coup à l'homme de main de Bragg s'étant rapproché de la ville avec ses armes. Par la même occasion, il définit le territoire qu'il régit. "It's out of your juridiction - Oh yeah ?"
Une fois ces différents éléments amenés, il est fréquent qu'il y ait une guerre, en particulier dans les westerns. Alors, la question du déroulement de la guerre intervient.
1 / La victoire, et le jugement des vainqueurs
Séquence du procès : vainqueurs font condamner Bragg ; Bragg, le méchant, se défend par des arguments libéraux ( la liberté de l'américain, le droit à la vie) et surtout assez fumeux. Ce film est donc bel et bien schmittien !
2 / L'alliance avec l'ancien ennemi
Pour Schmitt, on ne peut concevoir le politique sans couple ami/ennemi.
Episode de l'attaque des indiens : les anciens ennemis sont contraints de s'allier pour faire face aux indiens. Mais cette alliance n'annihile pas le couple ami/ennemi : cette antagonisme est réveillé dès que la menace des indiens disparaît.
3 / La violence hors la loi
Pour Schmitt, la guerre ne peut être qu'une guerre "juste", c'est à dire qu'elle ne peut se faire qu'entre Etats.
Séquence finale : Hitch se bat en duel (hors la loi) contre Bragg et le tue. Il résout ainsi un problème politique par un moyen non-politique. Il se bannit donc lui même et choisit de quitter la ville/cité/état.
Ainsi, ce western se détourne de la mode actuelle, à savoir l'ambiguïté morale des personnages, l'anti-manichéisme, en affirmant l'absence de la morale en politique, élément essentiel selon Carl Schmitt dans la définition du politique. Cela nous mène finalement à l'interrogation suivante : depuis plus de 50 ans, les populations des démocraties occidentales se passionnent pour le western, genre mettant en scène la politique, en tant qu'antagonisme. Le goût pour le western traduirait-il finalement dans les démocraties libérales, une nostalgie de la politique ?